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Une vérité toujours bonne à dire

Le 28 novembre, un commando de la FNSEA a muré, d’une part, avec des parpaings l’entrée de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et, d’autre part, élevé un mur de cartons devant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) pour en réclamer le départ. L’érection de murs symboliques entre la science et les agriculteurs est lourde de sens et franchit la ligne rouge qui sépare l’intelligence de l’obscurantisme.

Le 28 novembre, un commando de la FNSEA, composé notamment de la FDSEA 77 et de la FRSEA IDF, toutes deux vice-présidées par Arnaud Rousseau le patron national du syndicat, a muré avec des parpaings l’entrée de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et, via un mur de cartons, réclamé le départ de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES). En érigeant symboliquement un mur entre la science et l’agriculture et en réclamant le départ de l’ANSES, la FNSEA a franchi la ligne rouge. La ligne qui sépare la vérité du mensonge, l’intelligence de l’obscurantisme, la République d’un fascisme de moins en moins rampant. Nous sommes devant la vraie nature de l’agitation agricole depuis un an : le dévoiement d’une colère légitime par des organisations syndicales – FNSEA-JA-CR – dont le but est de déconstruire par la force l’évolution agroécologique, en favorisant la montée de l’extrême-droite. On l’a vue au Parlement européen et à l’Assemblée nationale, carte des votes ruraux à l’appui. Ce n’est pas sans rappeler le populisme des chemises vertes du dorgérisme des années 30. Ses gènes, qui accouchèrent de la Corporation paysanne de la France vichyste, sont toujours dans l’ADN de ces organisations, promptes à entonner le couplet de la campagne contre la ville, contre l’administration et ses fonctionnaires. Une litanie agrarienne que l’histoire a vue rassembler les colères contre la République. Avec cet esprit qui cultive autant la culture de l’abandon par les élites, forcément urbaines, que celle de la persécution par les fonctionnaires, on a vu Marine Le Pen labourer les cantons ruraux pendant la campagne présidentielle. Le résultat est aujourd’hui dans la rue pour emmurer la science. À chacun sa prise du Capitole.

Comme d’autres Outre-Atlantique, quand la vérité scientifique dérange, on l’ignore en poursuivant ses habitudes, quand ça ne suffit pas on la contourne (dérogations pesticides) et on désinforme (« on ne peut pas faire autrement »), quand son évidence s’impose et se grave dans les esprits citoyens, on la baillonne : attaques de l’OFB, de l’INRAE, de l’ANSES, de l’agence de l’eau, tous veilleurs de l’intérêt général et des biens communs. À quand un bûcher pour les agronomes, écologues, économistes de la transition agroécologique de l’agriculture ?

Quand la science remet en cause les pratiques agricoles destructrices des sols, de l’air, de l’eau et qu’elle inspire des règles de protections des citoyens, elle est réduite par les fanatiques de cette agriculture à une opinion qu’ils s’estiment en droit de piétiner. Au mépris du cadre démocratique qui donne à cette agriculture antiscience 20 milliards par an, pour 390 000 exploitations. Vous conviendrez que pour le prix, le citoyen, éclairé par la science, a le droit de choisir le menu.

La vérité des causes du changement climatique ne plait pas à ces organisations, dont le modèle agricole est responsable à hauteur de 19% d’émissions de GES. La science dit aussi leur responsabilité dans l’effondrement inquiétant de la biodiversité. La science, toujours elle, pointe le nombre aujourd’hui incalculable de morts dues aux pesticides de synthèse que ces organisations vénèrent. Un crime contre l’humanité pour le moment en dormance juridique.

La science dit encore que l’agriculture est une partie de la solution à condition de changer de pratique agronomique, d’accepter de réintégrer les dynamiques des écosystèmes. C’est, pour ces gens-là, insupportable à entendre. Insupportable car la haute idée qu’ils ont d’eux-mêmes, forgée sur le siège de tracteurs aussi hauts que des camions, se résume à ce qu’ils commandent à la nature. Ils en seraient les maitres et nous devrions nous agenouiller devant leur puissance. La vérité scientifique devient une atteinte à leur identité. Le cas psychiatrique est grave.

Que ces gens-là ne viennent pas nous dire qu’ils « nourrissent le monde » ! Cette « vérité » assénée à longueur de prises de parole est un de leurs plus grands mensonges. Le confinement sous la Covid 19 a montré, ô combien, que ce sont les paysans liés à leur territoire par des circuits courts de commercialisation de leurs productions qui ont nourri le pays. Pas les agri-managers des grandes cultures exportatrices, réduits à pas grand-chose par l’arrêt des échanges internationaux et la paralysie des ports. Ces agriculteurs hérauts de la compétitivité internationale pour exporter toujours plus, ne sont pas d’accord quand c’est à leur désavantage comme avec le Mercosur. Et quand des scientifiques s’égarent à calculer l’empreinte climatique de ce modèle, ils veulent les réduire au silence.

La vérité c’est que cela fait 12 ans, depuis le lancement politique de l’agroécologie (par Stéphane Le Foll), que les scientifiques, l’état, la société, leur tend la main pour dessiner avec eux la mutation du système agroalimentaire vers un modèle bioéconomique travaillant non plus contre le vivant mais avec lui. Dix ans de résistance aux solutions basées sur la nature. Dix ans d’entraves à tous les niveaux : à la ferme, à Bruxelles contre le Pacte Vert, à l’Assemblée et au Sénat pour obtenir des dérogations aux règles écologiques. Dix ans de contre-révolution.

Les nombreuses publications scientifiques des chercheurs de l’INRAE font référence internationalement. Par exemple, pour citer des travaux qui agacent les maçons des contre-vérités, les recherches sur la vie biologique du sol prouvent l’importance de l’agrobiologie pour restaurer la biodiversité, indispensable dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce que n’acceptent pas les censeurs de l’INRAE, c’est son E final, apparu en 2020, qui a élargi la vision de l’institution. Il lui a permis de s’affranchir des silos de pensée technique des filières agricoles, pour embrasser la vérité du paysage agricole : sa place dans des dynamiques terrestres infiniment plus grandes. Une vérité symphonique.

 

 

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