photos Nigel Di­ckinson et Jean-Marie Urlacher © ; montage Globalmagazine

Bon vol, l'Ami

François Si­egel a lâché le stylo, brutale­ment, à 75 ans. Avec lui une belle page se to­urne. Une page dont il aimait décider ce qu’elle po­rte­rait d’informati­ons inédites. De nouve­lles. Des infos, des bonnes photos, si po­ssible les mei­lleures. La re­ce­tte avait rapide­ment porté son journal, VSD, dans le pe­loton de tête de la pre­sse hebdo­madaire. Je de­vrais dire leur journal fami­lial : créé par son père, Maurice Si­egel, en 1977, après qu’il fût évincé de la dire­ction d’Europe 1 à la de­mande de Jacques Chirac qui tro­uvait persifleur le ton de l’antenne. L’école était bonne ! C’est là que François s’est aiguisé l’œil sur les re­po­rtages de guerre, de sport, de mode, de po­litique et de pe­ople, qu’il a ap­pris à prendre du recul, à exercer son libre-arbitre, à écouter son instinct aussi, celui qui met sur une piste d’inve­stigation, celui qui fait confiance au jeune pigiste. Instinct qu’il cultive avec son frère Jean-Do­minique (talent du marketing) et qui leur fait nature­lle­ment prendre les rênes de VSD au décès de leur père, en 1985. Il faut imaginer la jeunesse de ces deux-là, François et Jean-Do, baignant dans l’info, côto­yant les grands re­po­rters, les photo­journalistes, les champi­ons de sport, les vedettes de la chanson et du cinéma, les ministres, un to­urbi­llon dont le père ex­trait sous leurs yeux ce qui fait sens et mérite d’être porté à la connaissance du public.

En 1996, quand VSD est racheté par Pri­sma pre­sse, les deux frères redémarrent une aventure en fondant GS Pre­sse, une société de pre­sse indépendante (mot-clef si on veut les co­m­prendre) qui édite des quinzo­madaires de télévi­sion et le mensuel Info Pi­lote, organe de la Fédération française d’aéronautique. Ce n’est pas un hasard, François est passi­onné d’avi­ation, de pi­lotage. Il y sati­sfait son goût pour la technique et savo­ure la hauteur de vue, le che­min invi­sible que l’on trace dans l’azur … Très vite, lui vient l’idée audaci­euse de pro­po­ser au Monde, un magazine mensuel asso­ci­ant les mei­lleurs articles de l’austère quotidien avec les plus be­lles images du mo­ment : ainsi nait Le Monde 2, en 2000, avec François et Jean-Do aux manettes. Le passage à la parution hebdo­madaire, en 2004, éloigne les frères Si­egel du magazine.

En 2012, le duo lance avec succès, à l’instinct, sans étude de marché, We De­main, une revue pour changer d’époque. Un tri­mes­triel qui, sur fond de crise éco­logique et climatique, décode le change­ment de société en cours. Qui braque le pro­jecteur sur les nouve­lles pratiques écono­miques, so­ci­ales, alimentaires, po­litiques, les nouve­lles techno­logies, l’écono­mie ci­rculaire, co­llabo­rative, les pas de côté… bref, la re­prise en main du ci­to­yen sur sa vie. Un journal qui obse­rve la mue « d’une société passant de l’écono­mie de po­sse­ssion à l’écono­mie de l’usage », comme aimait le dire François.

Son départ est un vide immense. Je l’avais croisé à VSD, re­trouvé à We De­main dès les pre­miers numéros, avec sa passion intacte pour la pre­sse, l’info, le traite­ment de l’information et plus encore son affection pour les journalistes. Vu notre âge, nous so­uri­ons ense­mble de notre parcours de dinosaures proche de l’extinction, passés de l’âge d’or de l’auto­mobile, celui des bo­lides ro­uges pro­pulsés par un V12 gourmand, aux balbuti­e­ments joyeux d’un monde en décélération salutaire. Nous épro­uvi­ons inti­me­ment l’intensité, voire la brutalité, de la rupture culture­lle en cours et on y tro­uvait matière à faire phos­phorer les ce­rve­aux, à éve­i­ller les consci­ences. Nous nous inquiétions de l’avenir de la démo­cratie autant, sinon plus, que de l’éco­logie. J’aimais nos échanges, nos co­m­pli­cités scellées en que­lques mots. Nos rendez-vous.

 

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Gi­lles Luneau, rédacteur en chef de GLOBAL