Triste entre-deux

La déroute de la Macronie et des Républicains, les premiers pas du Nouveau front populaire avec les discussions sur les désistements au second tour prennent sous les sarcasmes du Rassemblement national un air de vieille rengaine qui ringardise la tentative de Front républicain et risque de nourrir la diatribe antisystème de l’extrême-droite. Le tout loin, très loin des enjeux réels du pays.

Aucune surprise à l’issue de ce premier tour des législatives. C’est la suite du déraillement des européennes dont la campagne s’est faite loin des préoccupations concrètes des électeurs et loin des défis planétaires. La dynamique, la vague noire disent certains, porte la colère d’un bon tiers des électeurs, captée par l’extrême-droite. Il faut respecter l’expression de cette colère, ne pas diaboliser un voisin sur trois, d’autant qu’ils ont de bonnes raisons d’être en colère. Pour autant ce n’est pas facile de faire comprendre à mon voisin, sympathique au demeurant, qu’il vote pour des salopards. D’autant plus difficile que « les autres », les « partis de gouvernement comme ils aiment à se présenter, nous ont encore offert hier soir le spectacle déplorable de la politique politicienne habituelle : quel besoin avaient les porte-paroles des Insoumis de sauter à la gorge des Macronistes ? Quelle nécessité pour les Macronistes (et bon nombre de journalistes) de ramener Mélenchon au centre des crispations alors qu’il est poussé par une partie de ses troupes vers la sortie, qu’il se marginalise lui-même et qu’il n’a aucune envie de gagner et, en bon trotskiste, vise plutôt le chaos. On a vu avec une facilité déconcertante, les porte-paroles de droite comme de gauche, se laisser entraîner par celles et ceux du RN sur leur terrain nauséabond de la haine racisée, de la démagogie anti-parlementaire, de la réduction du débat au lancement de mots-codes. Hier soir, aucune intervention politique ne s’est structurée autour des enjeux climatiques et écologiques qui sont les véritables maîtres du jeu économique, social et politique des années à venir. On peut y détecter le travail de sape de la FNSEA et ses alliés qui, dans l’offensive des manifestations de cet hiver contre la science, en particulier la climatologie et l’écologie, a d’une part interdit aux politiciens de s’approcher des vraies racines des problèmes agricoles (dont elle s’estime propriétaire), d’autre part par sa démagogie, ses manipulations d’information et son encouragement aux expressions violentes de mécontentement, a fait le lit de de l’extrême-droite un peu au Parlement européen et beaucoup dans la France rurale.

Le clin d’œil à l’Histoire du Nouveau front populaire ne doit pas faire oublier que les conditions historiques ont considérablement changé. Il y a presque un siècle, le Front populaire de l’entre-deux guerres mondiales portait les aspirations populaires dans le cadre des états-nations occidentaux à leur apogée, y compris coloniale pour certains. Dans le cadre national, les gouvernements avaient beaucoup plus de pouvoir que leurs homologues d’aujourd’hui. Même si, déjà, la crise boursière mondiale de 1929 annonçait une financiarisation internationale délétère. Alors, se féliciter de la construction d’un programme commun en quelques jours s’est faire comme tout le monde, promettre pour la énième fois des lendemains qui chantent, alors que les électeurs attendent des vraies ruptures…

Votants et adhérents

En démocratie, on ne fait pas barrage à 12 millions de votes pour l’extrême-droite, il ne faut pas dire n’importe quoi sinon, dans la dynamique en cours, on augmente le score du RN. Il faut entendre ce que cela dit de fractures et de souffrances de notre société. Il ne faut pas confondre les votants RN avec les adhérents-militants du RN. Il faut Par contre, il faut expliquer patiemment aux votants la manipulation de leur mécontentement par le RN. Fausses informations (libérer les prisonniers, antisémitisme du Nouveau Front populaire), langage ambigu, mots clefs lancés comme un code de reconnaissance (migrant, insécurité, fiché S…), le double langage avec les votes réguliers du RN contre les intérêts populaires au Parlement européen, à l’Assemblée nationale. Il faut faire appel à l’intelligence de son voisin, lui rappeler que coule dans ses veines du sang des points cardinaux de l’Europe, des deux rives de la Méditerranée, du grand Nord et de l’Asie. Lui expliquer que les migrations sont aujourd’hui la rançon de la dette écologique des pays occidentaux à l’égard des pays en développement : que les premiers sont historiquement responsables du changement climatique et que les seconds paient en priorité les pots cassés. Que les guerres induites par notre volonté occidentale d’exploiter et contrôler des ressources (pétrole, gaz, uranium, métaux rares, or, forêt, eau…) provoquent des déplacements de populations et des migrations. Que c’est une idée inquiétante de la démocratie que de raisonner en tout ou rien – majorité absolue ou refus du pouvoir –, que cela éclaire le moteur autoritaire du RN qui, avec un tiers des voix dans les urnes, veut le pouvoir absolu et tourne le dos au compromis démocratique. Redonner au cher voisin la perspective historique qui depuis 1945 privilégie la coopération et la paix plutôt que la guerre. Que ces valeurs ont été portées par la sociale démocratie et la gauche.

Les vrais enjeux

La globalisation du monde met en danger ces valeurs sociales-démocrates mais, pour autant, le défi n’est pas de revenir à l’isolement de l’état-nation tout puissant (qui amène à terme à la guerre et aux régimes autoritaires) mais d’arriver à repenser la démocratie à l’aune du village planétaire. Cela passe par un renforcement des pouvoirs territoriaux articulés sur des échelles plus vastes. C’est un défi du XXIe siècle dont la résolution va être aidée par la prise en compte politique du dérèglement climatique et de la chute de la biodiversité. Qui a le courage de dire aux électeurs que notre société doit résoudre ces problèmes sur au moins les quatre générations à venir ? Qu’il nous faut donc, dès maintenant, revoir nos modes de vie et que c’est justement et historiquement le bon levier pour les améliorer.

Même si le Nouveau front populaire bruit encore de l’ancien monde marxiste ébloui par le pouvoir central, c’est la seule coalition politique où est posée la survie de l’espèce humaine sur une planète en feu. Mais avec le RN dans l’antichambre du pouvoir, le péril d’une régression générale de la France, tant sur les plans intérieur, européen et international, est tel qu’il faut quand c’est nécessaire et sans hésiter voter pour des candidats de la droite républicaine. À charge, une fois élus, de leur rappeler leur devoir de construire les compromis de la transition écologique.

 

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